Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/538

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infiniment redevable de ce que vous voulez bien que je puiſſe deſormais regarder comme un preſent, & non pas comme un larcin, ce que j’avois dérobé : je ſuis meſme aſſuré, adjouſta t’il, que je trouveray que voſtre Portrait vous reſſemblera mieux qu’il ne faiſoit : eſtant certain que les trois ou quatre paroles que vous venez de dire en ma faveur, flattent ſi doucement mon imagination, que je ne doute point que je ne ſois cent fois plus heureux que je n’eſtois, lors que je regarderay cette admirable Peinture. De grace Beleſis, dit Leoniſe, ne me remerciez pas tant, de peur que je ne croye vous avoir trop accordé, & que je ne m’en repente : il faut donc que je renferme ma reconnoiſſance dans mon cœur, dit Beleſis, & que je me contente de vous monſtrer mon amour. Apres cela Leoniſe voulut voir ſon Portrait avec un peu plus de loiſir : de ſorte que Beleſis luy ayant redonné, il eut la ſatiſfaction de le reprendre des mains de ſa chere Leoniſe ſans luy faire de violence ; ce qui ne luy cauſa pas moins de joye, que ſi elle le luy euſt effectivement donné. Mais auparavant, il luy fit remarquer, par la difference des Fermoirs, quel eſtoit le coſté où eſtoit le Portrait de Cleodore : afin que lors qu’elle le ſurprendroit en ouvrant cette Boiſte, elle pûſt touſjours connoiſtre que c’eſtoit le ſien qu’il regardoit. Car encore que ce ne ſoit pas la couſtume de ceux qui ont des Portraits des Perſonnes qu’ils aiment, de les regarder en leur preſence, il n’en eſtoit pas ainſi de Beleſis : puis que ſoit qu’il ait aimé Cleodore ou Leoniſe, ç’a touſjours elle avec des tranſports d’amour ſi grands, & des ſentimens ſi particuliers, qu’il euſt voulu les voir en tous lieux, & en cent manieres differentes. Auſſi n’eſtoit il jamais plus ſatiſfait, que lors