Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/547

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amoureux ? ne sçaviez vous pas tout ce que je vous avois dit de ſon humeur ? Que ne vous faiſiez vous ſage à mes deſpens, & que ne le devenez vous encore ? Croyez moy, adjouſta t’il, au lieu de taſcher de toucher ſon cœur, taſchez de dégager le voſtre, d’une ſervitude ſi penible : plus vous ſeriez bien avec Cleodore, plus vous auriez d’inquietude : & quand je ne conſidererois que vous en cette rencontre, je devrois touſjours vous refuſer ce que vous deſirez que je vous accorde. Non non Beleſis, interrompit Hermogene, nous ne douons pas ſervir nos Amis ſelon noſtre gouſt, mais ſelon le leur : & quand j’ay commencé de feindre d’eſtre amoureux de Cleodore, je n’ay pas raiſonne ſi ſagement que vous, quoy que j’euſſe peut-eſtre plus de ſujet de le faire que vous n’en avez. Cependant puis qu’en feignant de l’aimer, je l’ay aimée effectivement, je ne voy pas que vous deviez vous obſtiner à ne vouloir point ce que je veux. Hermogene eut pourtant beau parler, il ne perſuada pas Beleſis : qui n’ayant point de bien puiſſantes raiſons pour pretexter le refus qu’il luy faiſoit, employa ſes prieres avec ardeur, pour l’empeſcher de dire à Cleodore qu’il ne l’aimoit plus, & qu’il aimoit Leoniſe.

Apres que cette conteſtation eut duré tres long temps, ces deux Amis ſe ſeparerent en ſe pleignant l’un de l’autre : il eſt vray qu’ils s’en pleignirent ce jour la, ſans aigreur : & qu’ils ſe parlerent touſjours comme des gens qui eſperoient de s’entre-perſuader ; mais apres qu’ils ſe furent ſeparez, ils ſentirent mieux qu’ils ne faiſoient auparavant, l’inquietude que cette bizarre rencontre leur donnoit. Hermogene fut ſi preſſé de la douleur qu’il eut de voir que Beleſis