Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/56

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y avoit ſi peu de magnificence dans ſon cœur, que ce qu’il avoit de bon d’ailleurs, eſtoit preſques conté pour rien. Il avoit beau eſtre adroit, & avoir de l’eſprit, cette baſſe inclination faiſoit qu’on ne le pouvoit aimer : au contraire, Abradate dans ſon exil, paroiſſoit eſtre ſi liberal, que tout le monde l’adoroit, & luy ſouhaitoit les Threſors de l’autre. La maniere dont il faiſoit des preſens, quelques petits qu’ils puſſent eſtre, les faiſoit conſiderer comme grands : il donnoit non ſeulement toſt, mais avec joye ; mais avec empreſſement : & l’on euſt dit qu’on ne pouvoit l’obliger plus ſensiblement, qu’en recevant ſes bienfaits. Son Train eſtoit propre & magnifique : ſa Table eſtoit ouverte & bonne : il eſtoit touſjours galamment, & meſme ſuperbement habillé : s’il perdoit au jeu, c’eſtoit ſans eſmotion & ſans chagrin : il cherchoit les occaſions de donner, comme Mexaris les fuyoit : & il agiſſoit enfin de telle ſorte, que non ſeulement il avoit ſa gloire de tout le bien qu’il faiſoit effectivement, mais encore de tout celuy qu’il ne faiſoit pas & qu’il euſt pû faire, s’il euſt eſté plus riche qu’il n’eſtoit : eſtant certain qu’il n’y avoit pas un honneſte homme malheureux dans la Cour de Lydie, qui ne creuſt qu’il ne l’euſt plus eſté, ſi Abradate euſt eſté auſſi riche que Mexaris. Apres cela, Madame, il vous eſt aiſé de juger que l’amour produiſit des effets biens differens, en l’ame de ces deux Princes : auſſi leurs deſſeins eurent ils un ſuccés fort inégal. Ils agirent pourtant eſgalement en quelques rencontres : car comme Mexaris en toutes les choſes où il n’y avoit point de deſpense à faire, n’eſtoit pas