Temple, & que vous ſeriez aſſez prophane pour en concevoir la penſée, vous vous ſeriez encore levée trop toſt : puis que quand il ſeroit vray que vous auriez le taint auſſi repoſé, & les yeux auſſi brillans que ſi vous aviez dormy dix heures ; du moins ſuis-je aſſurée que devant que nous allions au Temple plus de la moitié des boucles de vos cheveux ſeront deſja trop pendantes & trop negligées. Je vous aſſure (luy repliqua Cleodore, avec un enjouement qui n’eſtoit pas trop naturel) que pourveû que je vous plaiſe aujourd’huy, je ne pleindray point la peine que j’ay euë à me coiffer : & que je tiendray toute ma parure bien employée. Car pour des conqueſtes, adjouſta t’elle, je vous jure ma chere Parente, que je ne ſonge point à en faire : puis qu’au contraire, ſi l’en avois fait, je chercherois pluſtoſt à les perdre. Apres cela, ces deux belles Perſonnes ſe dirent encore pluſieurs choſes de Pareille nature : juſques à ce que Leoniſe fut achevée d’habiller. Mais lors qu’elle le fut, & que ſes Filles furent entrées dans ſa Garderobe, Cleodore prenant un viſage plus ſerieux, & voulant luy faire une fauſſe confidence, pour ſe vanger de Beleſis, je ſuis bien fâchée, luy dit elle, d’eſtre contrainte de vous donner une preuve de mon amitié, qui ne vous ſera pas agreable : & d’eſtre obligée de vous reveler tout le ſecret de ma vie, en un temps, où peut — eſtre vous ne m’en aurez pas d’obligation. Mais apres tout, eſtant perſuadée que je le dois, je m’y reſous ſans repugnance : vous ſupliant ſeulement de croire, que je n’ay nulle intention de conſerver ce que je vous Conſeilleray de perdre. Il y a tant d’obſcurité pour moyen vos paroles, reprit Leoniſe, que je n’y sçaurois reſpondre à propos : & tout ce que je vous puis dire, eſt que j’ay toute la diſpoſition que vous pouvez deſirer que j’aye à expliquer favorablement tout ce que vous me direz : & à reconnoiſtre comme il faut, la confiance que vous aurez en moy. Cela eſtant, reprit Cleodore, je vous advoüeray donc (quoy que je ne le puiſſe faire ſans rougir) que long temps devant que Vous arrivaſſiez à Suſe, Beleſis s’eſtoit attaché à me voir, & ſi je l’oſe dire à m’aimer : mais à m’aimer d’une maniere à faire un ſi grand eſclat dans le monde, que je fus contrainte, pour empeſcher qu’il ne fiſt beaucoup de choſes qui m’euſſent pu nuire, d’eſtre un peu moins ſevere que je ne l’euſſe eſté ſans cela. Je ſouffris donc qu’il me diſt quelqueſfois qu’il ne me haïſſoit pas afin qu’il ne l’allaſt pas dire aux autres : ainſi ayant beaucoup d’eſtime pour Beleſis, & quelque legere reconnoiſſance de l’affection qu’il avoit pour moy ; je veſcus aveques luy dans une aſſez grande confiance. Voila donc, ma chere Leoniſe, l’eſtat où eſtoient les choſes, lors que vous arrivaſtes icy : mais comme l’amour eſt une paſſion difficile à cacher, j’advoüe que j’eus peur que vous ne vous aperçeuſſiez de celle que Beleſis avoit pour moy : car comme je ne vous avois point veuë depuis l’âge de cinq ou ſix ans, on peut dire que je ne vous connoiſſois point. De ſorte que vos ne pouvez ce me ſemble pas raiſonnablement vous offencer, que je me défiaſſe de vous en ce temps là : & puis, à vous dire la verité, comme vous n’aviez jamais eſté à la Cour, je penſois que vous expliqueriez les choſes de cette nature fort criminellement : & que vous ne sçauriez peut-eſtre pas faire le diſcernement d’une paſſion innocente, à une paſſion déreglée. Si bien que craignant eſtrangement que vous ne vinſſiez à deſcouvrir l’intelligence qui eſtoit entre Beleſis & moy, je luy declaray que je ne l’aimois pas aſſez pour m’expoſer à ce malheur : & que je voulois abſolument qu’il ne me parlaſt jamais en particulier devant vous. Enfin j’en vins au point, que je ne voulois quaſi pas qu’il me regardaſt quand vous y eſtiez : car comme j’avois aiſément remarqué que vous avez infiniment de l’eſprit, je vous aprehenday encore plus quand je vous connus, que je ne vous craignois quand je ne vous connoiſſois pas : Eſtant donc dans cette inquietude, & n’ayant pas un attachement auſſi fort pour Beleſis, qu’il en avoit un pour moy ; je luy dis abſolument que je ne voulois plus vivre dans l’aprehenſion où je vivois : ainſi me voyant preſques determinée à rompre aveques luy, pluſtoſt que de m’expoſer à faire que vous sçeuſſiez l’intelligence qui eſtoit entre nous ; il s’adviſa de me propoſer (afin de me mettre l’eſprit en repos, & de vous empeſcher de deſcouvrir la verité) de luy permettre de feindre d’eſtre amoureux de vous. De ſorte que ne vous aimant pas en ce temps là, comme je vous aime aujourd’huy, je conſentis à ce qu’il voulut : me ſemblant meſme que c’eſtoit donner quelque joye à une je une perſonne nouvelle venue, que de luy donner lieu de croire qu’elle avoit gagné le cœur d’un auſſi honneſte homme que Beleſis. Je vous aſſure (interrompit Leoniſe en rougiſſant, & ſans avoir loiſir de raiſonner ſur ce Cleodore luy diſoit, voulant ſeulement nier qu’elle euſt eſté trompée) que Beleſis s’aquitta donc fort mal de ſa commiſſion : car il ne m’a jamais dit qu’il m’aimaſt, & je me ſuis toujours bien aperçeuë qu’il vous aimoit. Non non Leoniſe (reprit Cleodore avec beaucoup de fineſſe) ne me niez pas ce que je sçay auſſi bien que vous : &
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/565
Apparence