Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/597

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exprimer mes ſentimens, car il s’eſt paſſé tant de choſes dans mon cœur en peu de temps, que je ne puis moy meſme vous rendre conte de mes propres penſées. Ce que je vous puis dire eſt, que j’ay connu ſi viſiblement que les Dieux m’ont voulu punir de mon inconſtance, que j’en ay un repentir extréme. En effet, adjouſta t’il, il faut bien que je regarde la choſe de ce coſté là : car enfin je ſuis aſſuré qu’il n’y a pas huit jours que je n’eſtois pas haï, ny de Cleodore, ny de Leoniſe. Cependant par un renverſement eſtrange, je me voy en eſtat de les perdre toutes deux, & de les perdre encore d’une maniere très cruelle : car Leoniſe m’a eſté ravie par l’homme du monde que je mépriſe le plus, & Cleodore me la ſera peut-eſtre, par celuy que j’ay le plus tendrement aimé. A vous dire la verité, interrompis-je, vous ne devez vous prendre de voſtre malheur qu’à vous meſme : je sçay bien que je ſuis coupable, repliqua t’il, mars c’eſt principalement à cauſe que je le ſuis, que je m’eſtime malheureux. le voy bien meſme que la priere que je fais à Hermogene, n’eſt pas trop juſte : touteſfois, puis que l’amour de Cleodore, a repris ſa premiere place dans mon cœur, il me ſemble qu’Hermogene doit avoir pitié de ma foibleſſe. J’en ay auſſi beaucoup de compaſſion, reprit il, mais je ne dois pas ce me ſemble n’avoir point pitié de moy meſme. Du moins mon cher Hermogene, luy dit il, faites au Nom des Dieux, que je vous aye l’obligation de me dire avec ſincerité, ſi vous croyez que Cleodore vous aime effectivement : ou ſi ce n’eſt que : par dépit, qu’elle ſe porte à ſouffrir que vous la ſerviez. Je sçay bien, adjouſta t’il, que vous avec plus de merite que moy, Si qu’ainſi puis que l’avois eu le bonheur de n’en eſtre pas haï, il ne