Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

touche ? ouy en certaines rencontres, repliqua t’elle ; mais cependant afin de ſatisfaire Doraliſe (pourſuivit cette Princeſſe, voulant deſtourner la converſation) je prie tout ce qu’il y a de monde icy, de luy aider à deſcouvrir la verité de ce qu’elle veut sçavoir & d’obſerver Perinthe ſoigneusement, quand l’occaſion s’en preſentera. Mais Madame, repliqua Perinthe, ſi je n’ay point de paſſion dans l’ame, vous donnez une peine bien inutile à tant d’illuſtres Perſonnes : & ſi j’y en ay une, vous expoſez à, un rigoureux ſuplice, un homme qui vous à voüé un ſervice eternel. Quoy qu’il en ſoit Perinthe, repliqua t’elle, il faut que la choſe aille ainſi : & alors elle fit promette en particulier à tous ceux qui ſe trouverent là, de dire à Doraliſe tout ce qu’ils sçauroient de Perinthe : de ſorte que Mexaris & Abradate le promirent comme les autres : & le pauvre Perinthe eut le malheur de voir ſes Rivaux eſtre ſes Eſpions. Ils n’avoient pourtant garde de trouver ce qu’ils cherchoient : car leur penſée ne ſe tournoit pas du coſté où ce malheureux Amant tournoit toutes les ſiennes.

Voila donc, Madame, comment ſe paſſa le premier jour où Abradate parla de ſa paſſion à la Princeſſe Panthée : qui depuis cela, luy oſta, autant qu’elle pût, les occaſions de l’entretenir ſeule. Ce n’eſt pas qu’elle n’euſt beaucoup d’eſtime pour luy, & meſme peut-eſtre beaucoup d’inclination : mais ne jugeant pas que ſa fortune fuſt en eſtat qu’elle le deuſt eſpouser, elle ne vouloit rien contribuer à l’amour qu’elle voyoit bien qu’il avoit pour elle : c’eſt pourquoy elle affecta de vivre un peu plus froidement aveque luy qu’à l’ordinaire. Mais comme c’eſtoit touſjours avec beaucoup de civilité, cette froideur augmenta plus toſt le feu qui bruſtoit le