dit à Doraliſe que peut eſtre Abradate ſeroit bien aiſe de faire cette eſpreuve auſſi bien qu’elle : & en effet ce Prince ayant pris cette Bague, & s’eſtant aproché de la Princeſſe, il luy dit ſi bas que perſonne ne l’entendit, que ſi Mexaris ne s’en eſtoit pas ſervi à luy aller dire ſouvent ſans eſtre veû qu’il mouroit d’amour pour elle, il eſtoit auſſi mal adroit qu’autre. Comme la Princeſſe ne pût s’empeſcher en ſoufrire de ce qu’Abradate luy diſoit, Mexaris connut par là que cét Inviſible ſe ſervoit de ſa Bague autrement qu’il n’avoit penſé : de ſorte qu’eſtant en colere que ſon deſſein euſt ſi mal reüſſi, il ne put s’empeſcher d’en teſmoigner avoir quelque douleur. Mais comme Abradate prenoit plaiſir au deſpit de ſon Rival, & que Panthée meſme s’en mit à rire, il luy dit encore pluſieurs choſes tout bas, où elle ne pouvoit reſpondre, tant elle rioit de bon cœur du chagrin de Mexaris. Elle pretextoit touteſfois la choſe : & diſoit qu’il luy eſtoit impoſſible de ne trouver pas fort plaiſant, d’entendre qu’on luy parloit ſans voir perſonne aupres d’elle. Mais à la fin craignant que cette raillerie n’euſt quelque fâcheuſe fuite, elle pria Abradate de luy rendre la Bague ; ce qu’il fit : apres quoy elle la donna à Perinthe, & Perinthe à un autre : ſi bien qu’il n’y eut perſonne dans la Compagnie qui ne vouluſt la regarder & s’en ſervir : mais enfin on la rendit à Mexaris, qui la ſerra ſoigneusement : apres quoy la Muſique commença, qui fut ſuivre d’une Colation digne de l’avarice de celuy qui la donnoit, & bien indigne des perſonnes à qui elle eſtoit offerte. Elle fut pourtant ſervie en vingt-quatre Baſſins les plus beaux du monde : mais avec tant d’Œconomie par ſes Officiers, que le moindre Baffin valoit plus tout ſeul, que
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