Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/131

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encore que tous ceux qui virent cette Eclipse, en eussent veû d’autres ; celle là ne laissoit pas de leur donner une frayeur que les autres ne leur avoient pas donnée. Outre que celle-cy estoit plus grande, que toutes celles qu’ils pouvoient avoir veuës ; la rencontre du jour leur sembloit une chose si remarquable ; qu’ils ne pouvoient s’imaginer, que le cas fortuit l’eust causée : & ils croyoient asseurément, que les Dieux vouloient advertir le Roy, & tous les Medes, de quelque evenement considerable. Chacun se souvenoit de ces effroyables tenebres, dont le premier Ciaxare pere d’Astiage, avoit esté si troublé : & personne ne doutoit, que puis que celles là avoient esté causées pour advertir le Roy des Medes & celuy de Lydie, de faire la paix ; celles cy ne voulussent aussi signifier quelque chose de grande importance. Enfin tout le monde en parloit selon son caprice : & chacun se mesloit d’expliquer cét accident, selon son humeur, & selon sa passion. Les uns disoient, qu’il pourroit bien presager la mort du Roy : les autres craignoient seulement, la chutte de son Empire : quelques uns la perte du Prince son Fils : & tous ensemble n’en auguroient que des evenemens funestes. Mais si l’obscurité & l’épaisseur des tenebres les avoit surpris ; ce qui suivit cette Eclipse ne les estonna gueres moins : car apres qu’elle eut duré quatre heures toutes entieres ; le Soleil contre sa coustume, se descouvrit en un moment : & parut si clair ; & si brillant ; & d’une lumiere si inaccessible, qu’il pensa aveugler tous ceux qui eurent la hardiesse de le vouloir regarder. Sa chaleur ne fut pas moins extréme que sa clarté : & l’on sentit tout d’un coup une ardeur si grande ; que le Peuple creut que toute la Terre s’alloit embrazer.