Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/189

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colere estrangge, il prit son Espée d’une main, & luy arracha le Timon de l’autre. Non non, luy dit il, tu ne seras pas le Maistre du vaisseau : & si tu ne veux me conduire droit aux Ennemis, je vay te jetter dans la Mer, ou te passer mon Espée au travers du corps. Cét homme surpris aussi bien que moy, d’un discours si violent, se jetta à ses pieds ; & luy dit qu’il ne pensoit pas qu’il voulust aller vers des Ennemis, qu’il n’estoit pas permis d’esperer de vaincre. Fais seulement ce que je veux, luy respondit Artamene, & laisse le soing du reste, à la conduite des Dieux & mon courage. Entendant parler le Prince de cette sorte ; & ayant apris des Mariniers, combien le fameux Corsaire estoit redoutable ; Seigneur, luy dis-je, que voulez vous faire ? Je veux vaincre ou mourir, me respondit il, & ne refuser pas la premiere occasion, que la Fortune m’ait offerte. Mais Seigneur, luy repliquay-je, le moyen de vaincre, en combattant sans esperance ? Je vous l’ay desja dit, adjousta le Prince, si nous ne pouvons vaincre nous mourrons : & je l’aime beaucoup mieux, que de ne combattre pas, & de fuir laschement à la premier occasion où s’est trouvé Artamene. Seigneur, luy repliquay-je, se retirer devant un Ennemy trop fort, n’est pas une fuite honteuse, mais une prudente retraite ; & il ne faut pas confondre la temerité & la valeur. Je ne sçay pas encore trop bien, me dit le Prince assez brusquement, faire toutes ces distinctions : c’est pourquoy de peur de me tromper, en une chose où il va de mon honneur ; je veux prendre le chemin le plus asseuré, qui est celuy de combattre. Et c’est pour cela, dit il en se tournant vers les Soldats & vers les Mariniers, que je