Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/294

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le Sort à fait ſuccomber en cette occaſion, pluſtost que ma force ny que mon adreſſe. Je sçay bien qu’Artane n’eſtoit pas un de ces trois : je sçay bien encore que le vaillant Pharnace eſt demeuré de bout le dernier, qu’il m’a opinaſtrément diſputé la Victoire ; & que s’il euſt eſté ſecondé par un homme qui n’euſt pas eſté bleſſé comme Artane, il luy euſt eſté aiſé de me vaincre : puis que tout affoibly qu’il eſtoit, il s’en eſt ſi peu falu qu’il n’ait vaincu. Je ſcay bien que les bleſſures ne ſont pas des marques infaillibles de l’advantage d’un combat : mais je sçay bien mieux encore, que ce n’eſt pas prouver d’avoir combatu, que de ſe vanter de n’eſtre pas bleſſé. Il faut du moins eſtre couvert du ſang de ſes Ennemis, ſi l’on ne l’eſt pas du ſien : Mais pour Artane, il ſort de ce combat comme il ſortiroit d’un ſimple combat de galanterie, où les Victoires ſanglantes auroient eſté deffendues. J’advouë que je ne puis rien dire de particulier contre luy : je ne ſcay ny comment il a fuï ; ny comment il s’eſt caché ; ny comment il a diſparu : je sçay ſeulement que je ne l’ay point veû combattre : & cela ſuffit pour luy pouvoir ſoustenir, qu’il ne peut avoir vaincu. Il eſt ſans doute des crimes d’une autre nature : & dont l’en ne peut convaincre ceux qui en ſont accuſez, qu’en leur ſoutenant qu’on leur a veû attendre un homme pour l’aſſassiner ; qu’on le leur a veû tuer au coing d’un Bois ; qu’on leur a veû hauſſer le bras, & enfoncer leur eſpée dans je cœur de leur Ennemi. Enfin il faut avoir veû bien des choſes ; & ceux qui n’ont rien veû de tout cela, juſtifient les accuſez, bien plus toſt qu’ils ne les convainquent.