ny la bonté que vous avez euë pour moy, comme une chose qui eust pû offenser cette vertu. Car enfin, qu’avez vous fait pour Artamene, que ne vous ait pas conseillé la raison, & que n’ait pas aprouvé l’innocence ? vous m’avez fuy opiniastrément ; vous vous estes combatuë vous mesme ; vous m’avez caché une partie de vostre bien-veüillance ; & vous ne m’en avez presque jamais donné d’autres preuves, que celles que j’ay pû tirer de foibles conjectures, de n’estre pas haï de vous. Il a falu que j’aye penetré dans vostre cœur, par des voyes extrémement détournées : Vous m’avez dérobé quelques fois jusques à vos regards : vous avez mesnagé jusques à vos moindres paroles : & tout ce que je puis dire de vous, c’est que me pouvant perdre, vous ne m’avez pas perdu. Mais Dieux ! eussiez vous pû concevoir innocemment la pensée de perdre un homme qui vous aimoit, de la plus respectueuse façon, dont personne ait jamais aime ? un Prince qui vous a caché tous ses desirs ; qui les a estoussez en naissant ; & qui mesme n’a jamais osé desirer rien qui peust offenser la Vertu la plus delicate ? Un Prince, dis-je, qui vous adoroit, comme l’on adore les Dieux : & qui vous avoit consacré tous les momens de sa vie. Cependant vous avez voulu que je fisse un grand secret de ma passion : ne le descouvrons donc pas ma Princesse : & preparons nous à mourir sans nous pleindre : & sans faire voir nostre veritable douleur. C’estoit de cette sorte, que l’amoureux Artamene, passoit les jours & les nuits : il avoit pourtant cét advantage dans sa prison, que ses Gardes le pleignoient & le respectoient : & s’il eust esté d’humeur à vouloir rompre ses fers, il ne luy eust pas esté difficile.
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