Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne le fut davantage : il voyoit sa Maistresse une seconde fois enlevée, & ne pouvoit la suivre ny la secourir : puis que tous les vaisseaux & toutes les Galeres, qui estoient dans le Port, ayant peri par les flames, il n’estoit pas en sa puissance de suivre ce dernier ravisseur pour le punir. Il voyoit d’autre costé ton premier Rival en son pouvoir : mais il le voyoit seul & sans armes ; & sans autre dessein que celuy de songer à mourir. En ce pitoyable estat, desesperé qu’il estoit, par une affliction sans égale, comme sans remede ; il y avoit des momens où sa generosité n’estoit assez forte, pour l’empescher de penser à satisfaire en quelque façon sa vangeance, par la perte de son Rival : il y en avoit d’autres aussi, où il n’en vouloit qu’à sa propre vie : & dans cette cruelle incertitude de sentimens, ne sçachant ce qu’il devoit faire, ny mesme ce qu’il vouloit faire ; il entendit le Roy d’Assirie qui luy cria, Tu vois, Artamene, tu vois que la Fortune te favorisé en toutes choses : que le vent s’estant renforcé, repousse cette Galere vers le rivage : & que peut-estre bien tost, tu reverras ta Princesse.

Artamene regardant alors vers la Mer, vit effectivement que par la violence d’un vent contraire, cette Galere c’estoit si fort raprochée, que l’on pouvoit facilement distinguer des Femmes, qui paroissoient sur la Poupe : & remarquer en mesme temps, qu’avec un prodigieux & vain effort, la Chiurme faisoit ce que les Mariniers appellent Passe-vogue, pour resister aux vagues & aux vents ; & pour s’esloigner de la terre à force de rames. A cét instant, l’on vit de la joye dans les yeux d’Artamene : mais pour le Roy d’Assirie l’on ne vit que de la douleur, & du desespoir dans les siens ; sçachant bien que