Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/573

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bien tousjours, que vous estes la seule cause de vos malheurs & des miens : Car enfin, Amestris n’estoit point une personne, de qui l’on deust estre jaloux. Quoy Madame, luy dis-je, j’eusse pû démentir mes propres yeux ! j’eusse pû me fier malgré leur tesmoignage, à mon merite & à vostre bonté ! Ne sçavez vous pas Madame, qu’excepté la derniere fois que j’eus l’honneur de vous parler, vous ne m’avez jamais rien dit qui peust me faire croire fortement, que je n’estois pas mal dans vostre esprit ? Que vouliez vous donc Madame, qui soustinst ma foiblesse en cette occasion ? si j’eusse reçeu diverses preuves de vostre affection, j’eusse esté coupable de vous soubçonner d’inconstrance : Mais qu’avois-je Madame, de si engageant pour vous, qui me peust donner une grande seurete ? J’avois veritablement entendu quelque paroles favorables : l’on m’avoit permis de les expliquer à mon advantage : & j’avois reçeu quelques Lettres civiles & obligeantes : Mais Madame, estoit-ce assez pour démentir mes yeux ? Et ma passion eust elle esté digne de vous, si j’eusse pû raisonner sans preoccupation en cette rencontre ? Non Madame, pour vous aimer parfaitement, il falloit perdre la raison comme je la perdis : & il faloit conserver le respect, comme je le conservay. Car enfin, je ne me suis point pleint devant le monde ; j’ay pleuré en secret ; j’ay cherché la solitude pour soupirer : & quand je suis revenu à Ecbatane, j’y suis revenu par force. Vous y estes revenu (me dit alors Amestris en m’interrompant, & en changeant de couleur) pour servir Anatise à mes yeux : & pour me forcer malgré moy, à recevoir une passion, qui ne peut-estre dans une ame, qu’elle n’y soit precedée