Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/65

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le tiens un Rival que je ne puis punir ; je pers une Maistresse que je ne puis sauver, & sa beauté qui fait tout mon bon-heur & toute sa gloire, fait aussi toute mon infortune & tout son mal-heur. Elle luy donne des Adorateurs ; mais des Adorateurs sans respect : & en quelque lieu qu’elle aille, elle me donne des Rivaux & des Ennemis. Ha ! beaux yeux, s’ecrioit il, comme est-il possible que vous inspiriez des sentimens si injustes ; & si déreglez ; Vous, dis-je, qui n’avez jamais porté dans mon cœur, que de la crainte, & de la veneration ? Moy qui n’ay presque jamais osé vous dire que je vous aymois : moy qui ne vous ay regardé qu’en tremblant ; moy qui vous ay si long temps adorez en secret ; & moy, dis-je enfin, qui serois plustost mort mille fois, que de vous faire voir dans mes actions, la moindre chose qui vous peust desplaire. Cependant vous avez embrazé des cœurs indignes de vous : & des cœurs qui sans considerer ce qu’ils vous doivent, n’ont consideré que ce qui leur plaist. Cependant je ne sçaurois me repentir de ma respectueuse passion : & je ne sçay si tout malheureux que je suis ; si tout esloigné que je me trouve de ma Princesse, je n’aime pas encore mieux estre Artamene, que d’estre Mazare. Ce n’est pas poursuivit il, qu’il ne soit heureux dans son crime : car enfin il la voit ; il luy parle ; & il luy parle de sa passion. Mais sans doute aussi qu’elle luy respond avec mépris ; & que les mesmes yeux qui font son plaisir & sa gloire, font aussi sa peine & son chastiment, par les marques de leur colere. En un mot, je pense que j’ayme mieux estre innocent dans le cœur de ma Princesse, qu’estre seulement à ses pieds comme un Criminel. Mais