Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/76

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mit à suivre le bord de la Mer, du costé que la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse avoit pris sa route : pendant cette promenade melancholique, il s’entretenoit avec les deux fidelles Compagnons de ses avantures, le sage Chrisante, & le hardy Feraulas. Fut il jamais un temps, leur dit il, ny mieux ny plus mal employé que celuy que nous avons passé, depuis que nous sommes arrivez à Sinope ? Car enfin, par le nombre des choses qui m’y sont advenuës en si peu de momens, s’il faut ainsi dire, il est impossible de passer jamais aucun jour avec plus d’occupation mais aussi pour le peu d’utilité que je retire de cét employ, je ne pense pas que jamais personne ait si mal occupé sa vie. Je m’imagine venir delivrer ma Princesse, & je la trouve selon les apparences, dans un danger espouvantable : si j’en crois la crainte qui faisoit mon cœur, je la voy dans les feux & dans les flames ; & je la voy mesme reduite en cendre, aussi bien que la Ville où elle estoit. Apres je la voy ressuscitée ; je travaille à la sauver ; je combats ; j’esteins les flames qui apparamment la veulent devorer : & puis à la fin il se trouve que je ne delivre que mon Rival, & que je le delivre en un estat, qui ne me permet pas mesme de m’en vanger avec honneur. Enfin je voy un autre Ravisseur de ma Princesse, que je ne puis suivre : & peu apres je me voy sans Rival prisonnier, comme sans Maistresse delivrée. Dans le moment qui suit, je change encore d’estat : je fais des vœux pour Mazare, dont j’avois desiré la perte : & au mesme instant je le haïs plus que je ne faisois. O Destins ! rigoureux Destins ! determinez vous sur ma Fortune : rendez moy absolument heureux, ou absolument miserable : & ne