Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/366

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du moins quelquefois qu’il n’eſtoit pas impoſſible qu’il mouruſt devant moy : Mais la raiſon pour laquelle vous deſtruisez aujourd’huy tout mon bon-heur, eſt une raiſon qui ſubsistera touſjours, ſi les Dieux ne font un miracle pour rendre mon innocence viſible à tout le monde ; de ſorte que je ne voy point d’autre fin à mes maux que la mort. Ne vous oppoſez donc pas au ſeul ſecours que je puis recevoir, en me faiſant entendre quelques paroles flateuſes & inutiles : qui ne ſont peut-eſtre que de ſimples marques de pitié, & qui ne le font pas d’une affection telle que vous me l’aviez promiſe. Car apres tout, Madame, j’en reviens toujours là : puis que mon cœur eſt de certitude innocent, & que le crime de ma main eſt ſi douteux dans mon eſprit ; c’eſt faire une injuſtice effroyable, que de rompre les chaiſnes qui nous doivent attacher eternellement. Pour moy, Madame, je sçay bien que je porteray touſjours les miennes ; & que je ne trouveray de liberté qu’en mourant. Pendant qu’Aglatidas parloit ainſi à Ameſtris, j’eſtois patté de l’autre coſté du lict de Menaſte, à qui je parlois quelqueſfois bas, quoy que nous entendiſſions pourtant diſtinctement tout ce que diſoient ces deux illuſtres Perſonnes ; ſur le viſage deſquelles on voyoit une melancolie ſi profonde, que je n’ay jamais rien veu de ſi touchant. Ameſtris ne pouvoit preſques parler, parce qu’il luy ſembloit que tout ce qu’elle diſoit d’obligeant eſtoit un crime : ſon ſilence eſtoit neantmoins ſi éloquent, & tellement ſignificatif, qu’Aglatidas ne pouvoit pas douter qu’il ne fuſt tendrement aime de ſa chere Ameſtris. Touteſfois faiſant : à la fin quelque ſcrupule de la longueur de cette triſte converſation, elle voulut s’en aller : mais Aglatidas