Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/444

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Car comme il la preſſoit fort de luy dire pour quelle raiſon il ne devoit rien eſperer : Puis que vous le voulez sçavoir, luy dit elle, c’eſt pour deux raiſons invincibles. L’une, parce que je ſuis abſolument determinée à n’aimer jamais rien & à ne ſoufrir pas d’eſtre aimée : & l’autre, que quand je voudrois aimer quelqu’un, ce ne ſeroit jamais Hermodore. Ainſi vous n’avez qu’à regler voſtre vie ſur mes paroles, qui partent effectivement de mon cœur ſans aucun deſguisement. Apres que Cleonice eut prononcé ce cruel arreſt à ce malheureux Amant, elle nous le dit à Ligdamis & à moy, & nous l’en remerciaſmes tous deux : parce qu’il troubloit fort ſouvent noſtre converſation. Mais apres que Cleonice eut fait cette confidence à Ligdamis, nous sçeûmes qu’Artelinde qui s’eſtoit mis dans la fantaiſie d’aſſujettir ce cœur qui paroiſſoit eſtre ſi rebelle à l’amour, avoit fait cent petites choſes pour luy, qu’il ne nous avoit pas dites : ce qui irrita ſi fort Cleonice, que j’eus quelque peine à l’appaiſer. Neantmoins en ayant adverty Ligdamis, il fut à l’heure meſme la trouver : & il luy fit ſi bien connoiſtre que ç’avoit eſté par modeſtie qu’il avoit caché la folie d’Artelinde, que ce renoüement d’amitié devint encore plus eſtroit qu’il n’eſtoit auparavant : & je penſe pouvoir dire, que cette affection avoit preſques toute la delicateſſe & toute la tendreſſe de l’amour, ſans en avoir le déreglement ny l’inquietude : eſtant certain qu’ils avoient autant de plaiſir à ſe voir & à s’entretenir, que ſi cette paſſion les euſt poſſedez : quoy qu’ils n’euſſent pas toutes les impatiences qui la ſuivent, ils en vinrent pourtant au point, qu’ils avoient de la jalouſie, ſans avoir de l’amour ; eſtant tres vray que Cleonice craignoit continuellement que Ligdamis ne devinſt