Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/111

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façon j’ay reçeu sa lettre : mais helas, reprenoit elle tout d’un coup, que dis-je ! Et comment ne pensay-je pas, que Feraulas, s’il l’a veû, luy aura dit qu’il n’a remarqué nul sentiment de colere dans mon esprit ? qu’il m’a veû pleurer ; qu’il m’a veû rougir ; & qu’enfin il a connu que je l’aimois : & que peut-estre mesme je l’aimois, devant qu’il m’eust fait sçavoir qu’il m’aimoit. Ha Martesie, s’écrioit elle, ce malheur nous est arrivé ! Et c’est en vain que je veux cacher mes sentimens à Artamene. Il les sçait, disoit elle, il les sçait : & peut— estre mesme que les imaginant autres qu’ils ne sont, il conçoit des esperances criminelles, & se prépare à m’offenser. Hélas, disoit elle encore, qui vit jamais un malheur égal au mien ? Je passe toute ma vie avec une retenüe qui n’eut jamais d’égale : je me prive presque de tous les plaisirs innocens, bien loing d’en chercher qui puissent estre suspects : je deffens l’entrée de mon ame, à tout ce qui paroist un peu esloigné de la plus severe vertu : je resiste au merite ; aux services ; & à toutes les grandes qualitez d’Artamene : & mon cœur ne se rend qu’au bord de son Tombeau. Cependant peut-estre qu’à l’heure que je parle, Artamene se repent de ne m’avoir pas parlé plustost : peut-estre qu’il croit qu’il eust esté bien reçeu, dés la premiere fois qu’il me vit : & cette vertu severe, dont j’ay fait une si haute profession, ne luy paroist peut estre qu’un artifice. Mais que sais-je ? reprenoit elle tout d’un coup, j’accuse sans doute un innocent, qui apprehende autant ma veuë que je crains la sienne : Non non, Artamene explique les larmes que j’ay versées d’une autre façon : il sçait que la compassion toute seule en fait respandre : il sçait que je luy devois la vie du Roy mon