Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/127

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Feraulas à Artamene ! je m’imagine, poursuivit cette sage Princesse, que pour gagner l’amitié de son Maistre, il luy dira cent choses que je n’ay point dites : & que voulez vous qu’il luy die autre chose, reprit Martesie, fin on qu’il vous a entendu soupirer, & qu’il vous a veû pleurer pour la mort d’un homme que vous pleureriez peutestre encore, s’il mouroit effectivement ? je l’advoüe, luy respondit Mandane ; mais s’il estoit mort il ne pourroit pas sçavoir ma foiblesse : ny la reconnoistre aussi, repliqua cette fille, par des services & par des respects. Quoy qu’il en soit, dit la Princesse, Artamene sçaura par Feraulas, que j’ay fait des choses que l’on ne fait gueres, que pour les personnes que l’on aime : il est vray Madame, interrompit Martesie, mais voudriez vous qu’Artamene creus que vous l’enffiez haï ? luy qui a expose mille & mille fois sa vie pour vostre service ; qui à sauvé celle du Roy vostre Pere ; qui a tant gagné de Batailles ; qui a fait des Rois prisonniers ; & qui vient presentement d’empescher l’effet d’une conspiration, qui s’adressoit directement à vostre personne. Non Martesie, respondit la Princesse, je ne voudrois pas qu’Artamene creust que je fusse stupide, ingrate, & insensible, comme il faudroit que je la fusse, si je le haïssois : mais comme je ne voudrois pas qu’il creust que je le haïsse, je serois bien aisé aussi, qu’il ne s’imaginast pas que je l’aime : & je souhaiterois qu’il le desirast sans le croire, & mesme sans l’esperer : & qu’enfin il se contentast d’une fort grande estime, & de beaucoup de reconnoissance. Ces distinctions font bien delicates, reprit Martesie ; & je pense qu’il n’est pas bien aisé de demeurer dans cette juste mediocrité