Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/133

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vous, Madame, que vous venez de me dire que celuy qui vous parle, a eu le bonheur d’estre pleuré de vous : & pleuré de vous, apres avoir eu la hardiesse de vous escrire qu’il vous aimoit. Il est vray, reprit la Princesse toute confuse ; mais ce fut principalement parce que vous ne me l’aviez jamais dit, que j’eus de la tendresse & de la pitié : demeurez donc dans les mesmes termes où vous avez vescu ; & je demeureray dans la mesme disposition où j’estois. Mais, Madame, respondit Artamene, je ne puis plus r’apeller le passé : & je ne puis plus faire que je ne vous l’aye escrit. Il est vray, reprit Mandane, mais vous pouvez ne me le dire plus. Quand cela seroit possible, Madame, repliqua Artamene, mes yeux & toutes mes actions vous le diroient pour moy : & ma mort mesme, vous le confirmeroit bien tost plus fortement, que toutes mes paroles n’auroient pû faire. Au reste, Madame, ne pensez pas que je me sois rendu sans combattre : je vous ay resisté autant que j’ay pu : & j’ay peut-estre des raisons plus fortes que vous ne pensez, qui m’ont obligé d’en user ainsi. Je vous vy, Madame, & je vous aimay : quoy que je fisse tous mes efforts pour ne vous aimer point ; du moins il me le sembla. Toutefois quoy que je pusse faire, je ne pus jamais rompre mes chaines ; & je les ay tousjours portées, avec autant de patience que de respect. Depuis cela, Madame, j’ay servy le Roy, ou plus tost je vous ay servie ; puis qu’il est vray que je n’ay songé qu’à vous : & que si les Armes de Capadoce ont esté heureuses entre mes mains, il en faut attribuer tout le bonheur à l’ambition que j’avois, de me rendre digne de l’amour que j’avois dans l’ame. Vous sçavez, Madame, comme j’ay vescu : vous sçavez que je ne vous ay jamais