Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/149

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lieu de m’accuser de plus d’un crime ? & ne pourroit il pas s’imaginer, que j’aurois songé à partager avec Cyrus la domination de toute l’Asie, que les Mages luy ont predite ? Quelle meilleure voye, Madame, reprit Martesie, pourriez vous trouver pour empescher Cyrus d’avoir des desseins trop ambitieux, que de le retenir aupres de vous ? tant qu’il ne sera qu’Artamene, & tant qu’il sera amoureux de la Princesse Mandane, il ne sera pas la guerre à Astiage, & il n’attaquera pas Ciaxare. Mais qui sçait Madame, si vous le bannissez, si cette Ame grande & heroïque, pourra souffrir vostre rigueur avec patience ? Qui sçait s’il ne portera point la guerre par toute la Capadoce, & par toute la Medie ? Vous sçavez son bonheur ; vous connoissez son courage ; craignez donc, craignez de l’irriter : & de contribuer vous mesme, à la desolation de toute l’Asie. Songez, Madame, songez bien à ce que vous avez à faire : & ne bannissez pas Artamene legerement. Ma Fille, reprit la Princesse, tout ce que vous me dites est puissant : neantmoins ce que je pense, l’est encore davantage : & j’ay me beaucoup mieux exposer toute l’Asie que ma propre gloire. Car apres tout, si ce renversement doit arriver, c’est que sans doute les Dieux l’auront ainsi resolu : mais que Mandane puisse, ny doive se commettre à pouvoir estre soubçonnée d’une intelligence ce criminelle, en souffrant long temps dans la Cour un Prince desguisé ; bien fait ; de grand cœur ; & dé grand esprit ; & de plus, fort amoureux d’elle ; Ha ! Martesie, c’est ce que je ne sçaurois faire. Ce n’est pas, adjousta-t’elle en rougissant, que s’il faut bannir Artamene, je ne le bannisse avec repugnance, & que je ne m’y resolve, avec beaucoup de douleur : toutefois à