Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/159

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craignant de déplaire à la Princesse, il se retint ; & demeura fort interdit, tant que la ceremonie dura. Il eut pourtant quelque leger sentiment de joye, de voir que Mandane n’y avoit point voulu assister, & avoit fait semblant de se trouver mal : n’ayant pas la force d’aller entendre parler de la mort d’un Prince, qu’elle sçavoit qui estoit vivant.

Cette feinte fournissant un pretexte à mon Maistre de la visiter, il y fut aussi tost que l’heure où l’on la pouvoit voir fut venuë ; & la trouvant sur son lit, sans qu’il y eust personne aupres d’elle que ses femmes, qui ne pouvoient pas entendre ce qu’il disoit, se tenant par respect assez esloignées : je viens Madame, luy dit-il en abaissant la voix, vous rendre grace de ce que vous n’estes pas venuë remercier les Dieux de la mort de Cyrus : & je viens vous demander aussi, jusques à quand vous voulez qu’il ignore, s’il doit vivre, ou s’il doit mourir ? je voudrois sans doute qu’il peust vivre, repliqua la Princesse, & je voudrois mesme qu’il peust vivre heureux : mais à vous dire la verité, je n’y voy gueres d’aparence. Quoy, Madame (reprit Artamene, avec beaucoup de precipitation) m’est-il arrivé quelque nouvelle diferance, & suis-je plus mal avec vous que je n’estois ? Nullement, repliqua-t’elle ; mais je ne voy pas aussi que vous soyez mieux avec la Fortune. Car enfin, le Sacrifice où vous venez d’assister, marque tousjours que les sentimens du Roy continuent d’estre ce qu’ils estoient : & qu’ainsi il y a lieu de douter que malgré tous vos services, vous puissiez entreprendre sans peril, de vous descouvrir pour ce que vous estes. Ce n’est pas, adjousta la Princesse, que j’aye jamais remarqué dans l’esprit du Roy, ces mouvemens violens, que l’on