Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/231

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luy dit elle en baissant les yeux & la voix) mais c’est moy qui ne vous entens pas. Vous m’entendrez, Madame, quand il vous plaira, repliqua mon Maistre ; & si je me suis mal expliqué, je suis tout prest d’esclaircir vos doutes, & de me justifier. Vostre crime, respondit Thomiris, est de telle nature, que je ne pourrois vous accuser qu’en m’accusant moy mesme : & c’est ce qui n’est pas bien aisé à faire. Comme je suis fort assuré de mon innocence, repliqua Artamene, je ne doute point de la vostre : & je n’ay garde de soubçonner une Grande Reine, de la plus petite erreur. Non Artamene (luy dit elle tout d’un coup, en portant la main sur ses yeux) je n’ay point erré quand je vous ay creu digne d’une Couronne : Ha ! Madame, s’escria mon Maistre, j’ay sans doute mal entendu : & je pense mesme que de peur de perdre le respect que je vous dois, je ne dois pas vous respondre. Vous me respondez assez, en me respondant point, repliqua la Reine, & je n’ay pas besoin d’un plus long discours pour vous entendre. Mais, Madame, luy dit alors Artamene, si ce que vostre Majesté m’a dit est veritable, je n’ay plus qu’à songer à prendre congé d’elle, & à m’en retourner promptement à Themiscire : afin de ne laisser pas plus long temps dans une esperance inutile, un des plus Grands Rois de la Terre. Ce discours que mon Maistre avoit fait de dessein premedité, pour embarrasser la Reine, la surprit sans doute un peu : & la mit en un estat, où elle ne sçavoit pas trop bien que respondre. Car elle avoit creû qu’en ne laissant nulle esperance à Artamene de reüssir pour Ciaxare, c’estoit en quelque façon avancer le dessein qu’elle avoit de luy persuader qu’elle l’aimoit : mais voyant aussi que cela produisoit un si mauvais