Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/239

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manquer à son devoir. Il dit Madame, qu’il vous adoreroit dans son cœur ; qu’il seroit malheureux toute sa vie ; mais qu’il ne seroit jamais criminel. Sa vertu seroit grande Gelonide, reprit la Reine, mais son amour seroit bien petite : aussi ne parle-t’il sans doute de cette passion, que comme d’une chose supposée & imaginaire, qui ne trouble pas sa raison : & que certainement il ne connut jamais, par sa propre experience. j’eusse parlé comme luy, adjousta-t’elle, le jour qui preceda son arrivée : mais aujourd’huy que j’ay changé de sentimens, je suis persuadée que s’il m’aimoit, il en changeroir comme moy : & que sa generosité se trouveroit peut-estre un peu esbranlée ; principalement en une chose, où il ne la choqueroit pas directement. Mais Gelonide, adjousta-t’elle encore, ce n’est pas à moy à le persuader : & ce que mon merite n’a pû faire, mes raisons ne le feroient pas. Vostre merite Madame, repliqua Gelonide, a fait, à ce qu’il assure, dans son esprit, tout le progrés que raisonnablement vous deviez attendre : il advoüe qu’il a de l’estime & de l’admiration pour vous : mais il adjouste qu’il l’a de la mesme façon que l’on en doit avoir pour une Reine de qui l’on seroit nay Sujet, quoy qu’il ne soit pas le vostre. Pour moy, repliqua Thomiris, je ne pourrois pas definir si precisément ce que je sens pour Artamene : car enfin, je sçay de certitude, qu’il n’y a dans mon cœur nul sentiment criminel : & que s’il estoit capable d’en concevoir la moindre pensée, le despit & le repentir me gueriroient du mal qui me persecute. Cependant quoy que cette sorte de foiblesse ne soit pas dans mon ame, je ne me trouve pas tranquile. Artamene m’a presque fait haïr Indathirse &