Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/33

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faites luy sçavoir qu’elle a vaincu le Vainqueur des autres ; & que celuy à qui rien ne peut resister, a cedé à ses charmes & à sa beauté. Mais Feraulas, me dit-il, le moyen d’oser parler ? & le moyen de ne craindre pas la colere d’une personne, de qui la modestie est extréme ; de qui la vertu est severe jusqu’à la rigueur ? Je ne dis pas, Seigneur, luy repliquay-je, qu’il soit à propos de parler d’amour ouvertement à la Princesse : mais je voudrois du moins luy en dire assez, pour luy faire deviner le reste. Mais si en le devinant, me respondit-il, elle venoit à me haïr que deviendrois-je ? Ne craignez pas cela, luy repliquay-je, & sçachez, Seigneur, que l’amour n’a jamais fait naistre la haine. Mandane vous peut commander de vous taire ; Mandane vous peut mesme chasser ; mais elle ne vous sçauroit haïr parce que vous l’aimez. Ce n’est, Seigneur, que la maniere de se faire entendre qui peut estre dangereuse, & qu’il est necessaire de bien choisir : il ne faut donc pas parler d’estre aimé, en descouvrant que l’on aime : il ne faut rien demander, rien esperer, & rien pretendre, que le seul soulagement de faire sçavoir son mal, à celle qui le cause : & quand on en vie ainsi, croyez moy, Seigneur, qu’il est bien difficile que l’on soit haï, quelque vertu qui puisse estre en la personne aimée. Enfin, poursuivis-je, tant que Mandane ne sçaura point que vous l’aimez, il est indubitable que vous n’en serez point aimé : où au contraire, si vous luy donnez lieu de deviner vostre passion, peut-estre que malgré toute sa severité elle vous aimera. Mais Feraulas, me dit-il, si elle me bannit ? Non non, luy dis-je, ne craignez pas un si rude traitement : tant de grandes actions que vous avez faites,