Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/342

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par ſes rares qualitez, & par ſa reſpectueuse paſſion : ayant entendu dire qn’effectivement il aimoit la Reine Nitocris, avec autant de pureté que l’on aime les Dieux. Cette innocente paſſion ayant donc pris naiſſance dans le cœur de cette jeune Princeſſe, qui croyoit ne pouvoir rien faire de plus avantageux pour ſes Peuples, que de leur donner pour Roy, le plus vertueux Prince qu’elle connuſt ; elle commença de recevoir les ſervices de Gadate d’une maniere, qui fit bien toſt connoiſtre à tous les intereſſez, cette legere preference qu’il avoit par deſſus eux. Il n’en faloit pas davantage, pour exciter le trouble à la Cour : principalement par le Prince Labinet : qui à cauſe de ſes pretentions à la Couronne, eſtoit le plus dangereux. Ce Prince n’avoit pas ſans doute de deffauts conſiderables : mais il n’avoit pas auſſi de ces vertus heroiques, qui ſeparent autant les Princes du commun des autres hommes pour leur merite, qu’ils le font par leur condition. Neantmoins l’ambition & l’amour eſlevant ſon cœur, il ne parla plus que de guerre civile ; de revolte & de ſedition : & en effet, la choſe alla ſi avant, que chacun commença de prendre party. Tous les Amants meſcontents en faiſoient un ; Labinet faiſoit le ſien à part, ſuivy de quelques eſprits remuans ; & Gadate ſeul ſe trouvoit du coſté de la Reine. Cette jeune Princeſſe voyant les choſes en cét eſtat, en fut extrémement ſurprise : & apres avoir conſideré, que peut-eſtre elle alloit renverſer un grand Royaume : elle prit d’elle meſme une reſolution qui fit bien voir la Grandeur de ſon ame & de ſa vertu. Car ayant fait apeller Gadate, que ſans doute elle aimoit beaucoup plus qu’elle ne luy avoit teſmoigné : l’ayant, dis-je, fait apeller,