tant il eſt vray que l’infortuné Mazare déguiſa. admirablement bien ſes ſentimens. je vous diray donc Chriſante, que ce Prince en preſentant les Clefs de Babilone à la Princeſſe Mandane, le jour que nous y arrivaſmes, perdit abſolument ſa liberté ; & devint auſſi amoureux d’elle, que le Roy d’Aſſirie l’eſtoit. Comme il n’avoit point encore eu d’amour, il ne connut pas d’abord cette paſſion : & il s’imagina (comme je l’ay sçeu par le genereux Orſane qui eſt venu avec moy, & qui m’a deſcouvert tous les ſecrets ſentimens de feu ſon Maiſtre) que l’admiration toute ſeule, jointe à la pitié de voir une ſi belle Perſonne affligée, eſtoit ce qui troubloit un peu ſon eſprit. Mais il ne fut pas huit jours a s’apercevoir que ce qu’il ſentoit, eſtoit quelque choſe de plus, Il accepta pourtant la commiſſion que le Roy d’Aſſirie luy donna, de voir ſouvent la Princeſſe, & de luy parler ſouvent en ſa faveur : car quelle bonne raiſon euſt il pû dire pour s’en excuſer ? Il fit neantmoins quelque legere reſistance, à la premiere propoſition qu’il luy en fit : Mais apres tout, ſoit qu’il n’euſt point d excuſe legitime à donner ; ſoit qu’un ſecret mouvement de ſa paſſion fit qu’il ne peut refuſer de voir la perſonne qu’il aimoit malgré luy, il promit qu’il la verroit, & qu’il ſerviroit le Roy d’Aſſirie : & en effet, il la vit, & il taſcha de l’y ſervir. Car il faut advoüer que Mazare eſtoit naturellement genereux : & que l’amour ſeulement l’a forcé de faire des choſes contre la generoſité. En effet Orſane m’a aſſuré, qu’il luy deſcouvrit ſon cœur : & qu’il n’eſt point d’efforts qu’il ne fiſt, pour regler ſon affection : & pour la renfermer dans les bornes de l’eſtime & de l’amitié. Quel malheureux deſtin eſt le mien ? (diſoit il un jour à Orſane) j’ay paſſé preſque