Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/415

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que le Roy d’Aſſirie emportaſt la victoire. Je me ſouviens d’un jour qu’il voyoit la Princeſſe fort affligée, & que ſelon ſa couſtume, il eſtoit fort melancolique : Mandane qui croyoit touſjours que la ſeule compaſſion qu’il avoit de ſes malheurs en eſtoit la cauſe ; luy dit, Seigneur, je ne vous ay pas peu d’obligation ; car enfin eſtant ce que vous eſtes au Roy d’Aſſirie, vous ne laiſſez pas d’avoir la bonté de vous intereſſer en ce qui me touche. Il eſt vray, Madame, reſpondit ce Prince, que vous avez fait un changement eſtrange en mon cœur : je vous advoüe toutefois, que je ne puis ſouhaiter que le Roy ſoit vaincu : mais auſſi ay-je quelque peine à deſirer qu’il s’emporte la victoire : & tout cela. Madame, pour l’amour de vous. l’eſpere neantmoins, adjouſta t’il, que vous ne m’en jugerez pas plus criminel. Au contraire, dit elle, je vous ne trouve beaucoup plus innocent : car enfin ne ſe laiſſer point preoccuper par les ſentimens d’un Prince qui vous aime ; & s’attacher aux intereſts d’une Princeſſe malheureuſe que vous ne connoiſſez preſque point, c’eſt veritablement eſtre genereux. Ha ! Madame, reprit Mazare, ne dites pas s’il vous plaiſt que je ne connois point la Princeſſe Mandane : je la connois ſi parfaitement, que perſonne ne la connoiſt mieux en toute la Terre : & c’eſt pour cela que je trahis en quelque façon le Roy d’Aſſirie : & je connois meſme, adjouſta t’il, ſes propres malheurs, mieux qu’elle ne les connoiſt. Je n’en doute point, reprit la Princeſſe, car comme vous connoiſſez mieux que moy celuy qui les cauſe, vous voyez mieux auſſi les dangereuſes ſuittes qu’ils peuvent avoir. C’eſtoit de cette ſorte, Chriſante, que quelquefois Mazare diſoit des choſes qui euſſent pû faire ſoubçonner ſes ſentimens ſecrets : &