Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/452

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elle luy dira qu’il ne faut jamais trahir ceux qui ſe fient en nous ; s’il eſcoute ſa paſſion, elle luy dira au contraire, qu’il ne faut jamais ceder ny abandonner la Perſonne aimée : & que tout ce que l’on fait pour la poſſeder eſt juſte. De toutes les deux façons dont j’enviſage la choſe, je trahis le Roy d’Aſſirie ou la Princeſſe, & je me trahis moy meſme, puis que je pers toujours ma reputation : c’eſt pourquoy ſi nous avons à faire un crime, faiſons du moins un crime qui nous ſoit utile, & qui nous empeſche de mourir deſesperez. Enfin Chriſante, ce Prince amoureux malgré toute ſa vertu, ſe laiſſa de telle ſorte emporter à la violence de ſon amour, qu’il ſe reſolut non ſeulement de trahir le Roy d’Aſſirie, mais de tromper encore la Princeſſe Mandane. Ce qu’il y a de vray eſt, que je ne penſe pas que jamais perſonne ſe ſoit puny ſi ſeverement ſoy meſme, que Mazare ſe puniſſoit, par le remors continuel qu’il avoit dans l’ame : car je ne vy de ma vie une melancolie égale à la ſienne.

Toutefois apres s’eſtre fortement determiné à ce qu’il vouloit faire, il chercha les voyes de s’aſſurer d’une Galere, & les trouva facilement : parce que dans l’intention qu’avoit le Roy d’Aſſirie, de ſe ſervir de toutes les Galeres & de tous les Vaiſſeaux qui eſtoient dans le Port de Sinope, il avoit deſja commencé d’oſter une partie de ceux qui avoient accouſtumé de les commander : & d’y en mettre qui dépendiſſent plus abſolument de luy. Il y avoit donc encore un de ces Capitaines, qui sçachant de certitude, qu’on le traiteroit bientoſt comme les autres, avoit l’eſprit fort irrité : & ce fut à celuy là que le Prince Mazare s’adreſſa : & dans l’ame duquel il trouva toute la diſposition neceſſaire,