Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/468

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entre les mains de qui je deuſſe craindre de tomber, & qu’il ſe trouve qu’un de ces Princes que je croyois engagé en une fâcheuſe guerre, comme l’on nous l’avoit dit à Babilone, qui n’a peut-eſtre jamais eſté ſur la Mer que cette ſeule fois ; Que ce Prince, dis-je, perde ſes Royaumes ; & que s’enfuyant d’une Ville où il ne ſe pouvoit plus deffendre, comme ſon Medecin me l’a dit ; qu’il s’embarque ; qu’il prenne juſtement la route où il me peut trouver ; que ſon Vaiſſeau qui par raiſon devoit eſviter la Terre, ne puiſſe s’en eſloigner : & qu’enfin il ſe rencontre ſi juſte au moment de mon naufrage, qu’il me ſauve, & qu’il me tienne en ſa puiſſance ; Ha ! Marteſie, encore une fois, ces rencontres prodigieuſes m’eſpouventent & me font tout craindre. Mais, Madame, luy dis-je, le malheur de ce Prince vous doit aſſurer : car que voulez vous qu’entreprenne un Roy ſans Royaume ? & quel Azile trouveroit il, apres avoir fait une violence, comme ſeroit celle de vous retenir malgré vous ? Je n’en sçay rien ma fille, me repliqua t’elle, mais je crains beaucoup plus que je n’eſpere. Ce n’eſt pas, pourſuivit la Princeſſe, que je n’aye des raiſons bien puiſſantes, pour obliger le Roy de Pont à agir comme je veux qu’il agiſſe : Mais Marteſie, mon deſtin eſt de faire perdre la raiſon à ceux qui m’aprochent. Je chaſſe la vertu de l’ame de ceux qui m’aiment : je change toutes leurs bonnes inclinations : & je tiens comme un miracle, qu’Artamene ſoit demeuré genereux en m’aimant.

Or Chriſante, pendant que la Princeſſe s’entretenoit de cette ſorte aveque moy, le Roy de Pont qui avoit fait changer ſa route, & reprendre la pleine Mer, n’eſtoit pas non plus en repos : & eſtant paſſé dans une autre chambre, avec un des ſiens apellé Pharnabaſe, qui avoit