Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/519

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ce lieu là, traverſe toute droite comme un grand Canal : & qui pour faire mieux voir la pureté de ſes ondes, & la beauté du gravier ſur lequel elle coule ; n’a ſur ſes bords ny Canes ny loncs, ny Roſeaux, ny Arbuſtes : & a ſeulement ſes rives bordées d’un Gazon fort eſpais : & tout ſemé de Glaieuls de couleurs differentes ; de Narciſſes ; de Jonquilles, & de toutes les autres fleurs qui aiment la fraiſcheur & l’humidité. Cette belle Riviere a auſſi quantité de Cignes, qui nâgent ſi gravement, que l’on diroit qu’ils ont peur de troubler la belle eau qui les ſoutient. Et pour faire qu’il ne manquaſt rien à cette Feſte, cette aimable Riviere par les ordres de Philoxipe, ſe trouva toute couverte de petits Bateaux faits en forme de Galeres, qui eſtoient peints de vives couleurs, & conduits par de jeunes Garçons en habillement Maritime, mais pourtant tres propre : qui ramant doucement, avec des Avirons peints de vert & d’incarnat, vinrent au bord recevoir cette illuſtre Compagnie : à laquelle de jeunes Bergers fort galamment veſtus, qui menoient des Troupeaux le long de cette Prairie de l’autre coſté de l’eau ; firent entendre une Muſique Champeſtre fort agreable. Leurs Houlettes eſtoient garnies de cuivre doré, & ſemées de Chiffres : & leurs Fluſtes & leurs Muſettes eſtoient auſſi ornées que leurs Moutons, qui avoient tous les Cornes chargées de fleurs. Cent agreables Bergeres habillées de blanc, & couronnées de Chapeaux de roſes, eſtoient en divers endroits de cette Prairie : qui pour rendre encore ce lieu là plus agréable, meſloient la douceur de leurs voix, à la Muſique Champeſtre dont je vous ay deſja parlé. Un ſi beau lieu ne pouvant ſans doute inſpirer que de la joye, & le plaiſir n’eſtant pas une diſposition à la cruauté ;