Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/525

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Enfin, le Prince Philoxipe qui avoit plus accouſtumé d’eſtre dans ſon Cabinet que dans ſa Galerie : s’apercevant que malgré luy, la veüe de cette Peinture l’y retenoit, en ſortit avec quelque eſpece de chagrin : de voir qu’une fois en ſa vie, il n’avoit pas eſté Maiſtre de ſes ſentimens. Il en ſortit donc, en ſe faiſant quelque violence : & paſſa le reſte du jour & toute la nuit, ſans pouvoir ſe deffaire de cét agreable Phantoſme qui le ſuivit par tout le lendemain il retourna au meſme lieu où il avoit veû cette belle Perſonne : s’imaginant touſjours qu’il auroit un fort grand plaiſir, de la faire voir au Roy & à toute la Cour. Mais quoy qu’il remontaſt la Riviere juſques à ſa Source, il ne la trouva point : & il fut tres long temps à chercher inutilement. Cette avanture le fâchant beaucoup, il chercha du moins s’il ne verroit point quelque petit ſentier, vers le lieu où il avoit veû aller la belle Inconnüe : mais comme c’eſtoit de la roche toute deſcouverte, les pas n’y faiſoient nulle impreſſion : & l’on ne deſcouvroit nulles traces de chemin parmy ces Rochers. Deſesperé donc qu’il eſtoit, d’avoir nulle connoiſſance de ce qu’il vouloit sçavoir, il s’en retourna chez luy : reſolu abſolument de ne revenir plus en ce lieu là. Cependant il n’y fut pas ſi toſt, qu’il euſt ſouhaité d’eſtre encore au bord de la riviere : il s’informa de tous ſes Officiers, ſi dans les lieux d’alentour, ils n’avoient jamais rencontré une Perſonne qui reſſemblast cette Venus ; & leur demanda fort ſoigneusement, en quels lieux & en quelles Maiſons alloit Mandrocle, quand il peignoit ſa Galerie ? Ils luy reſpondirent qu’ils n’avoient jamais veû celle dont il leur parloits & que Mandrocle eſtoit un Solitaire qui