Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/546

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cette jeune Perſonne craignoit tout, elle n’oſoit preſque regarder ce Prince. La difference de ſa condition, qui faiſoit que dans ſon ame elle luy eſtoit plus obligée ; eſtoit pourtant ce qui faiſoit qu’elle le traitoit plus mal. Philoxipe voulut faire des preſents à toute cette vertueuſe Famille : mais ils les refuſerent tous. Cependant il eſtoit touſjours plus malheureux : car encore qu’il aimaſt Policrite paſſionnément, & qu’il l’eſtimast plus que tout ce qu’il y avoit de Grand ſur la Terre ; apres tout, il ne pouvoit Ce reſoudre à faire jamais sçavoir à perſonne, qu’il avoit une paſſion ſi baſſe. Il euſt ſans doute eſté capable, d’aller vivre dans une Iſle deſerte avec Policrite : mais il ne pouvoit imaginer, qu’aux yeux de tout le Royaume, il peuſt jamais eſpouser une Fille de cette condition. Cela n’empeſchoit pourtant pas, qu’il ne l’aimait d’une affection tres reſpectueuse : & de telle ſorte, qu’il n’euſt pas voulu ſouffrir un deſir criminel dans ſon cœur. Cette vertu toute pure & ſans artifice, qu’il voyoit dans celuy de cette Fille, luy inſpiroit un reſpect plus grand pour elle, que ſi elle euſt eſté ſur le Throſne : il voyoit donc qu’il aimoit, & qu’il aimoit ſans eſperance de trouver jamais de remede à ſon mal : à moins que de ſe reſoudre d’abandonner & la Cour, & la Royaume, & de demander Policrite à Cleanthe, avec une ſi fâcheuſe condition. Toutefois ce qui l’affligeoit le plus, c’eſtoit de ne sçavoir point comment il eſtoit dans l’eſprit de Policrite : il la trouvoit douce & civile ; il ne voyoit nulles marques de haine ſur ſon viſage : mais il y voyoit auſſi une ſi grande retenüe, & une modeſtie ſi exacte, qu’il ne pouvoit connoiſtre ſes ſentimens. Il luy ſembla meſme, que