Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/568

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luy dis-je, je ſupplie voſtre Majeſté d’attendre qu’elle ait veû encore une fois Philoxipe, & qu’elle luy ait commandé abſolument de luy d’eſcouvrir ſon cœur, auparavant que de ſe determiner à rien : & ſi vous me le voulez permettre, j’iray le faire venir demain au matin. Non non, me dit le Roy, vous ne ſortirez point du Palais d’aujourd’huy ; & vous ne verrez point Philoxipe avant moy. En effet ce Prince me donna en garde à un des ſiens ; & me commanda de me retirer, à une Chambre que l’on me donna dans le Palais. De vous repreſenter, Seigneur, mon embarras, & l’inquietude du Roy, ce ſeroit une choſe aſſez difficile : puis qu’à vous dire la verité, il avoit autant d’amitié pour Philoxipe, qu’il avoit d’amour pour Aretaphile. Qui vit jamais diſoit il (car il l’a luy meſme raconté depuis) une avanture pareille à la mienne ? j’ay un Rival qu’il faut que j’aime malgré moy : & qui me donne un plus grand ſujet de l’aimer par l’amour qu’il a pour ma Maiſtresse, que par tout ce qu’il a jamais fait pour mon ſervice, & que par tous les bons offices qu’il m’a meſme rendus aupres d’elle : eſtant certain que je n’ay qu’à le regarder, pour connoiſtre ce qu’il ſouffre à ma conſideration ; & que je n’ay qu’à conſiderer la vie qu’il mene, pour voir combien je luy ſuis obligé. Je voy dans ſes yeux une melancolie qui me fait craindre ſa mort : & je voy en toutes ſes actions, des marques viſibles de ſon amour pour Aretaphile, & de ſon reſpect pour moy. Que feray-je ? diſoit il, feindray-je d’ignorer cette paſſion, & laiſſeray-je mourir Philoxipe ? Mais il n’eſt plus temps de vouloir faire un ſecret de ce que je penſe, puis que Leontidas le sçait : Leontidas, dis-je, qui a tant de part en ſa confidence & en ſon amitié. Diray-je auſſi à Philoxipe que je sçay ſon amour ſans