Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/581

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vous voye en meſme temps : il faut que la melancolie que je verray dans vos yeux, me ſoit un contrepoiſon, contre les charmes que je verray dans les ſiens. Nous fuſmes donc à Paphos : mais Dieux ! que la Cour fut peu agreable en ce temps là, & que l’Ambaſſadeur d’Amaſis trouva l’eſprit du Roy peu tranquille ! Ce Prince fut trois jours ſans voir la Princeſſe Aretaphile chez elle : & comme Philoxipe ſouffroit une peine qui n’eſt pas imaginable ; tant à cauſe de l’opinion que le Roy avoit de luy, que de la privation de la veuë de Policrite, il paroiſſoit encore plus melancolique, & le Roy en eſtoit auſſi plus affligé. Cependant l’ambitieuſe Aretaphile eſtoit en une inquietude extréme, & du voyage du Roy à Clarie ; & de ce qu’il ne la viſitoit pas ; & de ce qu’on luy diſoit que ce Prince eſtoit fort chagrin. Mais à la fin le Roy ayant encore voulu ſe confirmer en ſa croyance, mena Philoxipe malgré luy chez la Princeſſe Aretaphile ; eſperant pouvoir mieux obſerver les ſentimens de ſon cœur en ce lieu là qu’en tout autre. Philoxipe qui creut qu’il n’y avoit pas moyen de mieux détromper le Roy, qu’en luy faiſant voir qu’il ne prenoit nul plaiſir à regarder cette Princeſſe, en deſtourna touſjours les yeux avec grand ſoin : mais ce qu’il faiſoit pour deſabuser ce Prince, le decevoit davantage. Car, diſoit il en luy meſme, le malheureux Philoxipe ne peut ſouffrir la veuë de ce qu’il aime, & de ce qu’il ne veut pas aimer. Il s’accuſoit alors d’eſtre trop inhumain, de l’expoſer à un ſi grand ſuplice : & voyant les cruelles inquietudes qui paroiſſoient ſur le viſage de Philoxipe, ſa viſite ne fut pas longue. Cependant comme il avoit pour le moins ce jour là autant regardé ſon pretendu Rival que ſa Maiſtresse, & qu’il avoit