Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pas un Capitaine, à qui il ne promust recompense de la part du Roy ; il ne voyoit pas un Soldat passer aupres de luy, qu’il ne l’appellast par son nom, & qu’il ne luy dist quelque chose d’obligeant : & par son action & par ses paroles, il leur inspira un si ardant desir de gloire, qu’il n’eust pas esté aisé de les retenir : tant il est vray qu’il avoit un art puissant pour exciter leurs cœurs, & pour se rendre Maistre de leurs esprits. Apres donc que toutes les Troupes eurent fait un repas assez leger ; & qu’à la teste de l’Armée, l’on eut offert un Sacrifice aux Dieux ; Artamene la fit marcher en bataille droit à l’Ennemy : & marcha le premier, avec le Prince Tigrane & Philidaspe, qui ne le voulut point abandonner, afin qu’il ne peust rien faire, qu’il ne fist aussi bien que luy. J’advoüe, Seigneur, que voyant les choses en cét estat, je ne pûs me resoudre de continuer d’obeïr exactement à Artamene : je me mefiay donc parmy toute cette jeunesse de la Cour, qui formoit un Corps de Volontaires, & qui suivoit mon Maistre : mais je ne sçay comment il me vit, & me fit signe delà main, aussi tost qu’il m’eut aperçeu. Je quittay alors mon rang, & comme il s’avanca quinze ou vingt pas, Seigneur, luy dis je en l’abordant, ne me refusez pas la permission de combattre : Non, me respondit-il, je ne vous la donneray point : & vous m’avez fasché de me desobeir. Je ne le feray plus, luy dis-je, Seigneur, puis que vous ne le pouvez souffrir ; & je m’en vay me retirer, Du moins Feraulas, me dit-il, si je meurs en cette occasion, vous pourrez assurer à la Princesse, que le jour de ma mort aura esté bien marqué du sang de ses Ennemis ; & qu’en une mesme journée, j’aurai esté Vainqueur & vaincu. A ces mots ce cher & bon Maistre, me commanda de nouveau tout haut de suivre ses