Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/603

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contre la genereuſe fidelité de cét Eſclave ſi digne de ne l’eſtre point. Quand Philoxipe ne pouvoit ſe promener, il demeuroit dans ſa Galerie, à conſiderer la Peinture de ſa belle Venus Uranie : lors qu’il ſe ſouvenoit de la douce vie qu’il avoit menée auparavant que d’eſtre amoureux, il ſouhaitoit preſque de n’avoir jamais veû Policrite : mais dés qu’il rapelloit en ſa memoire les charmes de ſa beauté & de ſon eſprit, & les heureux momens dont il avoit joüy aupres d’elle, quoy qu’elle luy euſt touſjours caché les ſentimens d’eſtime qu’elle avoit pour luy ; il preferoit toutes les douleurs qu’il ſouffroit depuis qu’il aimoit, à tous les plaiſirs qu’il avoit eus pendant qu’il eſtoit inſensible. Helas (diſoit il quelquefois en luy meſme en reliſant la Lettre de Policrite) que de douces, d’agreables, & de cruelles choſes j’ay apriſes en un meſme jour ! Policrite eſt de Naiſſance illuſtre ; Policrite ſe ſouviendra touſjours de moy, & Policrite ne me verra jamais. Ha s’il eſt ainſi, pouſuivoit il, que n’ay-je recours à la mort, & que fais-je d’une vie ſi malheureuſe ? Puis tout d’un coup venant à penſer que Policrite vivoit, & que Policrite ne le haïſſoit pas ; un rayon d’eſperance luy faiſoit croire que peut-eſtre s’informant de luy, & aprenant la miſerable vie qu’il menoit, ſe reſoudroit elle à luy aprendre enfin en quel lieu de la Terre elle vivoit. Ce raiſonnement ne luy donnoit pourtant qu’autant d’eſperance qu’il en faloit pour l’empeſcher de mourir : & ne luy en donnoit pas aſſez pour le conſoler de ſes infortunes. Philoxipe vivant donc de cette ſorte tout le reſte de l’Hyuer, alloit quelques fois voir le Roy, lors que le Roy ne le pouvoit venir viſiter : & ſans nul eſpoir de remede à ſes maux, il attendoit