Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/607

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digne de l’illuſtre Sang dont il eſt deſcendu. Il pouvoit avoir quatorze ou quinze ans, lors que je fus à Milet pour quelques affaires : & comme le ſage Thales eſtoit fort de mes amis je fus le viſiter : & ſuivant noſtre couſtume, il ſoustint ſes opinions, & moy les miennes. Il me reprochoit agreablement ma foibleſſe : & me diſoit que je teſmoignois aſſez l’indulgence que j’avois pour l’amour, par une petite Image de Cupidon que je conſacray un jour à cette Dimunité, & que je fis placer au Parc de l’Academie, au lieu où ceux qui courent avec le flambeau Sacré ont accuſtumé de s’aſſembler. Paſſant donc inſensiblement d’une choſe à une autre, nous parlaſmes des felicitez & des infortunes du mariage : & en ſuitte la converſation s’eſloignât toujours de ſon premier ſujet, côme il arrive aſſez ſouvent, nous parlaſmes de nouvelles, & d’autres choſes ſemblables. Un moment apres, Thales feignant d’avoir quelque ordre à donner à un des ſiens pour ſes affaires particulieres, ſe leva pour luy parler bas, & ſe vint remettre à ſa place. En ſuitte de quoy à quelque temps de là, je vys arriver un Eſtranger que je ne connaiſſois pas, qui luy dit qu’il venoit d’Athenes, & qu’il n’y avoit que dix jours qu’il en eſtoit parti. A l’inſtant meſme, preſſé par ce deſir naturel de curioſité de sçavoir s’il n’y avoit eu nulle nouveauté en ma Patrie, depuis que j’en eſtois eſloigné, je luy demanday s’il ne sçavoit rien de conſiderable de ce lieu là ? Non, me reſpondit il, ſi non que le jour que je partiſe vy faire les funerailles d’un jeune Garçon de la premiere qualité, où toutes les perſonnes de conſideration qui ſont à la Ville eſtoient : & pleignoient extrémement la douleur que recevoit