Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/611

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la mort, pluſtost que de l’eſpouser. J’advouë qu’en rendant parler Epimenides de cette ſorte, j’en fus ſensiblement touché : car je luy avois entendu predire des choſes que j’avois veuës arriver ſi preciſément en ſuite, que mon ame en fut eſbranlée. je le priay donc de me dire ce qu’il faloit faire, pour empeſcher qu’un homme qui ſacrifioit toute ſa vie à la Gloire d’Athenes, n’euſt une Fille qui deuſt donner de l’amour à celuy qui en voudroit eſtre le Tyran. Il me dit donc que comme l’on ne sçavoit pas encore dans Athenes que ma Femme eſtoit groſſe, il faloit cacher ſa groſſesse ; l’envoyer à la Campagne, & quand elle y ſeroit accouchée, faire nourrir cette Fille ſecrettement, ſans qu’elle sçeuſt de qui elle eſtoit née : & ſans que perſonne le sçeuſt auſſi excepté ceux qui auroient ſoin de ſon education. Que s’il arrivoit que je fuſſe obligé de quitter ma Patrie, il faloit que je la laiſſasse pendant mon exil, en quelque Iſle de la Mer Egée : & que cela eſtant elle ſeroit infailliblement heureuſe, ſans que je deuſſe craindre qu’elle fuſt aimée du Tyran d’Athenes. Enfin, Seigneur, pour accourcir mon diſcours, je creus les conſeils d’Epimenides : & j’envoyay ma Femme aux Champs, où elle acoucha d’une Fille quand le temps en fut venu. Ce commencement de Prediction acomplie me ſemblant eſtrange, je continuay d’agir ſelon les conſeils d’Epimenides : qui en s’en allant (apres avoir refuſé tous les preſens qu’on luy offrit, n’ayant voulu pour ſa recompenſe, qu’un rameau de l’Olive Sacrée) me dit que ma Fille me donneroit un jour autant de ſatisfaction par ſa vertu & par ſon bonheur, qu’elle me donneroit d’inquietude par ſa perte. Ces paroles obſcures me demeurerent dans l’eſprit : & depuis cela je remis