Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/79

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le plus considerable & le plus fascheux, c’est que je sçay bien, que de la façon dont je sens sa mort, elle troublera tout le repos de ma vie. L’illustre Mandane s’arresta à ces paroles ; & Martesie quoy que sensiblement touchée de la perte d’Artamene, voulant toutefois consoler la Princesse, luy dit que les Dieux avoient tousjours acoustumé de mesler les biens & les maux : & de n’envoyer jamais gueres les uns sans les autres ; & qu’ainsi en cette occasion, il faloit se resoudre d’acheter la victoire un peu cher. Ha Martesie ! luy dit-elle, puis que cette victoire couste la vie d’Artamene, elle couste trop ; quand mesme elle me donneroit une Couronne. Car enfin ma cher Fille, il n’est pas aisé de se consoler, de la perte d’un Prince comme luy ; d’un Prince, dis je, qui possedoit toutes les bonnes qualitez ; qui n’en avoit point de mauvaises ; & qui nous aimoit. Mais, luy dit alors Martesie, s’il eust vescu vous ne l’eussiez pas sçeu : où s’il vous l’eust dit, vous vous en fussiez offencée : je l’advouë (reprit la Princesse, avec precipitation) je m’en ferois offencée, & offencée mortellement : Mais Martesie, il ne me la dit qu’en allant à la mort : je ne l’ay sçeu qu’apres qu’il n’a plus esté en estat de pouvoir sçavoir ce que j’en penserois : & s’est cela principalement, qui cause toute ma tendresse, & qui fait ma plus aigre douleur. Toutes les grandes actions d’Artamene poursuivit elle, & toutes ses hautes vertus, ont este des choses qui ont veritablement merité & gagné mon estime : Mais je vous advouë que le respect qu’il a eu pour moy, touche plus sensiblement mon cœur. Les combats qu’il a faits ; les Batailles qu’il a gagnées ; & tant d’autres actions esclatantes, qu’il a faites si vous voulez, pour meriter mon aprobation ;