Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/85

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prix inestimable, par leur grandeur prodigieuse, & par leurs belles graveures ; un Throsne d’or enrichy d’Onices & de Topases, & plusieurs autres choses rares & precieuses. Derriere ces Chariots, marchoit le Roy prisonnier, à cheval, mais sans espee ; environné de cent Gardes, avec des Casaques de deüil ; & suivy de quinze cens Captifs, tous enchainez quatre à quatre. Immediatement apres, marchoit Philidaspe seul, le Baston de General à la main, vestu de deüil, & son Cheval caparaçonné de mesme. Le reste des Troupes le suivoit, marchant en mesme ordre que les premieres. Comme ce petit Triomphe arriva dans une grande Plaine qui n’est qu’à vingt stades de Sinope, ceux des premiers rangs virent une Lictiere, qui croisant leur chemin à cent pas devant eux, le rangea & s’arresta, comme pour laisser passer les Gens de guerre. Mais à peine furent ils vis à vis de cette Lictiere, que faisant alte tout d’un coup, ils se mirent à crier tous d’une voix en rompant leur ordre, C’est Artamene, c’est Artamene. Cette voix ayant passé du premier rang au second ; du second au troisiesme ; & ainsi successivement à tous les autres : le glorieux Nom d’Artamene fut en un instant en la bouche des Amis & des Ennemis ; des Capitaines & des Soldats ; des Vaincus & des Vainqueurs. Tout fit alte ; tout s’arresta ; & un moment apres tout le monde voulut s’avancer, pour s’esclaircir de ce que c’estoit. Philidaspe qui eut peur que ce ne fust un artifice du Roy de Phrigie, pour mettre ses Troupes en confusion, & pour tascher d’enlever le Roy de Pont, commanda que chacun demeurast à sa place, & s’avança vers le lieu où ce bruit avoit commencé. Mais Dieux, quelle surprise fut la sienne !