Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/110

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beaucoup. Neantmoins quand je m’imaginois que je la reverrois, & que mes yeux pourroient encore quelquefois rencontrer les ſiens, je ſentois un plaiſir extréme. En un mot, pour abreger mon diſcours, j’arrivay à Delphes : mais j’y arrivay ſi tard que mon Pere eſtoit deſja retiré : de ſorte qu’au lieu de coucher chez luy, je fus coucher avec Meleſandre, afin de sçavoir pluſtost des nouvelles de Teleſile. Comme il ne ſe retiroit jamais de bonne heure, il ne faiſoit que d’entrer dans ſa chambre quand j’y arrivay : une ſurprise qui luy fut ſi agreable, fit qu’il m’embraſſa avec une joye extréme. Je l’embraſſay auſſi, avec beaucoup de tendreſſe : mais ne sçachant encore ce qu’il me devoit aprendre de Teleſile, je n’oſois me reſjoüir : & je cherchois dans ſes yeux, ce qui devoit paroiſtre dans les yeus. Apres l’avoir donc prié de faire ſortir ſes gens : & bien, luy dis-je Meleſandre, Teleſile n’eſt elle pas touſjours Teleſile : c’eſt à dire la plus belle choſe du monde ; & mon abſence n’a t’elle point favoriſé les deſſeins de quelqu’un de mes Rivaux ? J’ay tant de choſes à vous dire, me repliqua t’il, que je ne sçay par où commencer : & il eſt arrivé tant de changement en vos affaires, que vous ne pouvez manquer d’en eſtre eſtrangement ſurpris. Ha Meleſandre, luy dis-je, haſtez vous de me dire en gros ce que c’eſt : Mais ſi par malheur Teleſile eſt ou morte ou mariée, dittes moy ſeulement il faut mourir : afin que mon deſespoir ne ſoit pas long. Teleſile, repliqua t’il, eſt vivante & belle : & meſme ne ſera mariée de long temps à pas un de vos Rivaux.

Ce diſcours ayant remis le calme en mon ame, & n’y ayant plus laiſſé qu’une forte curioſité, de sçavoir quel eſtoit ce changement, j’apris qu’auſſi toſt que j’avois eſté