Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/118

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grand détour aveque moy : ny de chercher un pretexte pour ne me voir plus. Il eſt permis à chacun, de ſuivre ſes inclinations : & comme aſſurément vous ne pourriez jamais aimer la plus belle Perſonne du monde ſi elle n’eſtoit pas riche : je n’aimerois jamais auſſi le plus riche homme de toute la Grece, s’il n’avoit l’ame encore plus grande que ſa fortune. Ainſi je penſe qu’il nous ſera également avantageux, que vous ne vous obſtiniez pas par une fauſſe generoſité, à rendre quelques devoirs à une perſonne qui a perdu tout ce qui vous la rendoit aimable. Androclide ſurpris de la liberté du diſcours de Teleſile, voulut luy faire des proteſtations contraires à ce qu’elle diſoit : mais ce fut avec un air ſi contraint, & des paroles ſi ambiguës, que l’on euſt dit qu’il craignoit d’en dire trop, & de s’engager plus qu’il ne vouloir. Teleſile le regardant alors avec un ſous-rire qui avoit quelque choſe de fier : Non Androclide, luy dit elle, ne vous donnes point la peine de vous déguiſer plus long temps ; & laiſſez moy joüir en repos d’un Threſor que je prefere à ceux qui touchent voſtre inclination, qui eſt la liberté de pouvoir reſver toute ſeule. Androclide prenant comme on dit cette occaſion aux cheveux, quitta Teleſile ; & s’en pleignant à tout le monde, il ceſſa de la voir, auſſi bien que beaucoup d’autres : de ſorte qu’en peu de jours, la Maiſon de Diophante fut auſſi ſolitaire qu’elle avoit eſté tumultueuſe, & pleine de monde. D’abord Teleſile s’eſtonna de la foibleſſe des hommes : & ſe regardant quelquefois dans un Miroir, elle ſe demandoit à elle meſme, ſi ſa beauté eſtoit changée ? Car j’ay sçeu toutes ces choſes depuis de ſa propre bouche. Mais ſe trouvant encore les meſmes yeux ; le meſme