Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/123

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prendre celle de lire dans mon cœur, & de deviner mes penſées. Je puis facilement, me dit elle, faire ce que vous ſouhaitez : car Thimocrate, je connois ſi admirablement le cœur de tous les hommes, que je ne sçaurois manquer de connoiſtre le voſtre. Eh Madame, luy dis-je, ne me traittez pas ſi cruellement : & ne confondez pas s’il vous plaiſt, Androclide & Thimocrate. Androclide dit elle, croit eſtre fort prudent : & Thimocrate eſt fort amoureux, luy dis-je, Thimocrate, repliqua t’elle, eſt peut-eſtre un peu plus diſſimulé qu’un autre : mais apres tout, il a ſans doute l’ame pleine foibleſſe comme les autres hommes, dont la plus part commencent d’aimer ſans y penſer ; continuënt par couſtume ; ceſſent de le faire par caprice ; & font preſques toutes choſes ſans raiſon. Ha Madame, luy dis-je, vous connoiſſez mal Thimocrate, ſi vous le croyes tel que vous dittes ! Car enfin j’ay commencé de vous aimer malgré moy, je l’avouë : mais j’ay continué par inclination & par raiſon tout enſemble. Je ſuis parti d’aupres de vous le plus amoureux des hommes : j’ay paſſé cette cruelle abſence, avec toute la douleur imaginable : & je ſuis revenu icy avec une paſſion qui s’eſt encore augmentée depuis mon retour : quoy que dés le premier inſtant que je vous aimay, je ne creuſſe pas qu’il fuſt poſſible qu’elle augmentait. Thimocrate, me dit elle, Androclide diſoit il y a trois mois les meſmes choſes que vous dittes à tout ce qu’il y a de gens à Delphes, lors qu’il leur parloir de moy : cependant cette pretenduë beauté de Teleſile a perdu tous ſes charmes, dés que Crantor m’a oſté l’eſperance de ſes threſors. Il eſt vray, luy dis-je ; mais