Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/180

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tout ce que nous pourrions pour en eſtre aimez : & que celuy de nous deux qui pourroit obtenir cét honneur, obligeroit cette belle Perſonne à prononcer un arreſt de mort, à celuy qu’elle n’aimeroit pas. Depuis cela nous veſcusmes un peu mieux enſemble Antigene & moy ; parce que nous ne nous cachions plus l’un de l’autre : & nous vivions avec aſſez de civilité, pour des gens qui faiſoient toutes choſes poſſibles pour s’entre-deſtruire. Comme le Prince Cleobule me retint aſſez long temps aupres de luy, & que de plus je reçeus de nouveaux ordres de Periandre, qui m’y arreſterent encore davantage ; j’eus le loiſir d’eſſayer une partie des choſes qui ont accouſtumé d’eſtre utiles en amour. Je ſuivois Philiſte en tous lieux : je parlois d’elle eternellement, à toutes les perſonnes de ſa connoiſſance : je ne loüois jamais nulle autre beauté devant elle : & loüois inceſſamment la ſienne, quand je le pouvois faire à propos. Je fis des vers pour ſa gloire, qui furent trouvez plus ſupportables de toute la Cour, que ceux qu’Antigene, fit quoy que peut-eſtre ils fuſſent plus beaux : j’adjouſtay la Muſique à la Poëſie, je fis des airs comme des paroles, & je les chantay moy meſme avec tout l’art dont j’eſtois cupable. Ainſi joignant les charmes de l’harmonie à mes expreſſions, je ſoupiray en chantant : & je taſchay d’enchanter ſon cœur par les oreilles. Je fis une deſpense prodigieuſe en Habillemens, en Bals, en Colations, & en liberalitez : j’aquis l’amitié de tous ſes Amis, & de toutes ſes Amies : Alaſis ſon Pere m’aimoit beaucoup : un Frere qu’elle avoit ne me haïſſoit pas : ſes Femmes & tous ſes Domeſtiques furent gagnez par des preſens que je leur fis : je luy parlay preſques touſjours avec un reſpect qui aprochoit de celuy