Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/195

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n’eſt plus eſloigné de l’amour que la haine : Pardonnez moy, luy dis-je, car tous les extrémes ſe touchent : & ce cruel oubly dont je me pleins, l’eſt infiniment davantage. Il y a du moins quelque ſentiment dans une ame qui haït : & il n’eſt pas abſolument impoſſible que l’amour naiſſe parmi le feu de la colere. Mais d’un eſprit froid & inſensible, qui ne conſerve nul ſouvenir de tout ce que l’on a fait pour l’obliger : le moyen d’en eſperer de la tendreſſe & de la reconnoiſſance ? Et le moyen enfin que vous puiſſiez aimer ceux à qui vous ne penſerez jamais ? Apres tout, interrompit elle, je ne puis comprendre qu’il ne vaille mieux eſtre oublié, que d’eſtre haï : c’eſt belle Philiſte, luy dis-je, que vous n’avez jamais eſté ny haïe, ny oubliée ; mais pour moy à qui vous avez fait connoiſtre ces deux ſentimens par experience : je vous declare que j’aime encore mieux que vous vous ſouveniez de moy en me haïſſant, que de ne vous en ſouvenir point du tout. La haine eſt pourtant, à mon advis, un grand obſtacle à l’amour, dit elle : & l’oubly, repliquay-je, en eſt encore un bien plus grand puis qu’enfin il eſt abſolument impoſſible que l’amour naiſſe dans l’oubly : & qu’elle peut naiſtre parmy la colere & malgré la haine. En un mot, je trouve quelque choſe de ſi inhumain, pourſuivis-je, à chaſſer meſme de ſon ſouvenir un Amant malheureux : que je ne trouverois pas ſi cruel de le faire mourir effectivement. Chaſſez moy donc de voſtre cœur, ſi vous ne m’y pouvez ſouffrir : mais laiſſez moy du moins occuper quelque place en voſtre memoire. Ne vous ſouvenez de moy, ſi vous voulez, que pour en dire du mal ; que pour vous pleindre de mon opiniaſtreté à vous aimer malgré vous : cherchez meſme