Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/206

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genereux dépit me faiſoit avoir honte de ma laſche perſeverance : mais un moment apres, l’amour reprenoit ſa premiere place : & chaſſoit auſſi toſt de mon cœur tout autre ſentiment. Il y avoit des inſtans, où la colere me tranſportoit de telle ſorte, que je ne la voulois eſpouser que pour la mal traiter apres, & pour l’oſter à Antigene : toute autre voye ne me ſemblant pas ſi ſeure que celle là. Il y en avoit d’autres auſſi, où devenant un peu plus tranquile, je ne voulois agir que par de ſimples ſoumissions : mais quoy que je vouluſſe & que je penſasse, je voulois touſjours qu’Antigene n’eſpousast point Philiſte. Cependant Alaſis qui ſe faſchoit du procedé de ſa fille, commença de vouloir haſter noſtre mariage : & de luy faire dire par ſon frere, qu’il vouloit abſolument qu’elle y conſentist. Se voyant donc alors au deſespoir, elle m’envoya querir : & la trouvant toute en larmes, Philocles, me dit elle, vous avez vaincu : Ha Madame, luy dis-je, ſeroit il bien poſſible ? ouy dit elle, & pourveu que vous rompiez avec mon Pere, je vous promets de rompre avec Antigene. Eh Dieux Madame, luy dis-je, que cette victoire eſt funeſte, & qu’elle me couſtera de l’armes ! Mais Madame, adjouſtay-je, vous voulez bien faire la moitié de ce qu’il faudroit pour me rendre heureux : que n’achevez vous ? & que ne dittes vous que vous romprez avec Antigene, pour ne rompre jamais avec Philocles ? Demeurez, dit elle, dans les termes de voſtre propoſition, ſi vous ne voulez que je me porte à quelque reſolution deſesperée. Philiſte prononça ces paroles d’une maniere qui me donna de la pitié malgré ma colere : de ſorte que faiſant un grand effort ſur moy meſme ;