Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/219

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du lict ; le gauche nonchalamment eſtendu ſur ſa couverture ; les yeux fermez, & la bouche un peu entre-ouverte ; ſans donner nul ſigne de vie, que par une reſpiration foible & precipitée, qu’à peine pouvoit on diſcerner. Cependant quoy que la paſleur de la mort fuſt ſur le viſage de Leontine, je puis pourtant dire que juſques alors je n’avois jamais rien veû de ſi beau : eſtant abſolument impoſſible, de trouver une plus grande beauté que la ſienne. Je vous laiſſe donc à juger ſi j’eus de la douleur, de la voir en cét eſtat : & de remarquer que tous les remedes qu’on luy faiſoit ne ſervoient de rien. Je la vy durant une heure, à ce qu’il me ſembloit, toute preſte à expirer : Polimnis qui m’aperçeut s’eſtant aproché de moy, voulut me faire ſortir à diverſes fois, afin de s’oſter devant les yeux un objet ſi triſte : mais voyant qu’on ne prenoit pas garde à nous, & que nous y pouvions demeurer, je l’y retins ſans sçavoir pourquoy ; car j’eſtois ſi touché de voir Leontine en cét eſtat, quoy que je ne l’euſſe jamais veue en un autre, que je m’en eſtonnois moy meſme. Mais enfin comme on perdoit preſque tout à fait l’eſperance, je vis en un moment je ne sçay quel luſtre incarnat ſe meſler à la blancheur de ſon teint : & chaſſer cette pâleur mortelle, qui s’eſtoit eſpandue ſur ſon viſage. Un moment apres elle ouvrit les yeux : mais quoy qu’elle les refermaſt auſſi toſt, je vis pourtant briller quelque choſe de ſi eſclattant, que j’en fus eſbloüy. En ſuitte elle ſoupira, & changeant de poſture avec aſſez de vigueur, elle donna un ſigne evident d’un amendement notable. De ſorte que les Medecins reprenant quelque eſperance, firent ſortir tout le monde de ſa chambre, à la reſerve de ceux qui la pouvoient ſervir :