car eſtant allée à la compagne, avec quelques unes de ſes Amies, il courut un bruit à Thebes qu’elles s’eſtoient noyées, au paſſage du Fleuve Iſmene, leur Chariot s’eſtant renverſé au milieu de cette riviere. L’on racontoit meſme toutes les circonſtances de ce funeſte accident. On diſoit que Leontine avoit eſté trouvée morte, à cinq ou ſix ſtades de l’endroit où le Chariot avoit eſté rompu : & il n’y avoit preſque point lieu de douter de cette tragique nouvelle. De vous dire comme je la reçeus, il ne me ſeroit pas facile : j’en perdis la parole, & j’en penſay perdre la vie. Je ne sçaurois non plus vous raconter bien preciſément ce que je dis & ce que je fis : car ma raiſon ſe troubla de telle ſorte, que ma douleur aprit à tout le monde, ce que j’avois eu bien de la peine à cacher : parce que l’humeur de Leontine n’eſtoit pas d’aimer ces Adorateurs publics, qui font vanité de leur paſſion. Comme il y avoit deux journées de Thebes juſques au lieu où l’on diſoit que ce malheur eſtoit arrivé, il falut quelque temps pour en avoir des nouvelles : Mais Dieux ! toutes les heures meſurent des Siecles, car je les paſſay ſans eſperance : & ſi Polimnis qui sçavoit mon amour, ne m’en euſt empeſché, j’aurois eſté moy meſme au lieu où l’on diſoit que Leontine s’eſtoit noyée. Mais enfin l’impatience m’ayant pris, je ſortis à cheval de la Ville, ne sçachant ce que je voulois faire : ſi ce n’eſtoit que je voulois du moins aller le long du chemin par où l’on devoit raporter le corps de Leontine. Polimnis qui sçeut que j’eſtois ſorty me ſuivit ; & me voulant conſoler, il me diſoit qu’apres tout j’eſtois heureux, de ce que ſa Parente ne m’avoit pas eſté plus favorable : puis que ſi elle m’euſt aimé, j’en euſſe eſté
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