Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/225

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que ce qui avoit donné fondement au bruit qui avoit cour de ſa mort, eſtoit qu’effectivement elle avoit trouvé le fleuve Iſmene deſbordé : & que l’ayant voulu guayer, elle avoit penſé y perir : mais que par bonne fortune n’ayant pas voulu s’obſtiner de le paſſer, elle eſtoit revenuë ſur ſes pas ; & avoit eſté ſi heureuſe, que ſon Chariot n’avoit verſé que fort prés du bord : de ſorte qu’elle & ſes Amies avoient eſté promptement ſecouruës, & en avoient eſté quittes pour la peur, & pour eſtre un peu moüillées. Que cependant elles avoient tardé un jour, pour ſe remettre de cette frayeur ; s’eſtant reſoluës de n’achever point leur voyage, que le Fleuve ne fuſt abaiſſé. Qu’ainſi il eſtoit à croire, que quelqu’un ayant ſeulement veû le Chariot renverſé, avoit ſemé ce funeſte bruit. Cependant cét accident me fut favorable : & le ſilence de mon évanoüiſſement perſuadent mieux Leontine que toutes mes paroles n’avoient pû faire ; je la trouvay, ce me ſembla, un peu moins rigoureuſe qu’à l’accouſtumé : & s’il m eſtoit permis de me ſouvenir de choſes agreables, je pourrois vous dire que je fus deux mois avec toute la douceur que l’eſperance d’eſtre aimé peut donner

Mais comme cela c’eſt pas, je vous diray ſeulement qu’apres tant d’heureux jours. Antigene, comme vous l’avez sçeu par Philocles, arriva à Thebes, & y devint amoureux de Leontine auſſi bien que beaucoup d’autres l’eſtoient. Comme il a un eſprit agreable, adroit, & galant, il me donna de la jalouſie, que je ne pûs jamais cacher, quelque ſoing que l’y apportaſſe : & je penſe meſme que l’en teſmoignay un jour quelque choſe à Leontine : de ſorte que comme cette belle perſonne avoit une vertu delicatte, elle s’offença bien plus de ma jalouſie, qu’elle ne